vendredi 27 octobre 2017

ORDONNANCES : LE DÉCRET PRUD’HOMMES DÉJÀ SUR LA TABLE !





Le 23 octobre 2017, le Conseil supérieur de la prud’homie (CSP) a, une nouvelle fois, été réuni en urgence pour être consulté sur l’un des projets de décret d’application de l’ordonnance « prévisibilité et sécurisation des relations de travail ». Le texte en question traite de deux problématiques distinctes : l’une relative à la procédure prud’hommes, l’autre à la possible contestation des décisions susceptibles d’être rendues par les médecins du travail.
Le projet d’ordonnance qui avait été présenté au conseil supérieur de la prud’homie le 5 septembre dernier (1) avait retenu l’attention de tout un chacun sur un point bien précis : celui du plafonnement du montant des dommages-intérêts auxquels un employeur qui a licencié sans cause réelle et sérieuse un salarié est susceptible d’être condamné à verser à ce dernier (2).
Oui mais voilà, en matière de prud’homie, une réforme est toujours susceptible d’en cacher une (voire plusieurs) autre(s). Et celle (majeure s’il en est !) du plafonnement des dommages-intérêts a eu tendance à occulter deux autres aspects de l’ordonnance dite de « prévisibilité et de sécurisation des relations de travail ». A savoir, en son article 35, une énième modification de la procédure prud’homale et, en son article 8, un réajustement des règles attenantes à la contestation des « avis, propositions, conclusions écrites ou indications » rendues par le médecin du travail.
Si le premier de ces aspects a fait l’objet d’un avis (très) défavorable de la part de notre organisation, le second a par contre, et malgré de sérieuses réserves, été salué comme étant constitutif d’un très net progrès par rapport au système qui avait été initialement construit sous l’empire de la loi Travail. 
  • Une énième modification de la procédure prud’homale (article 1 I et III du projet de décret)
Cette modification a d’ores et déjà été intégrée au sein de la partie législative du Code du travail (3).
Sur le fond, elle consiste à rendre automatique le renvoi de toute affaire devant un bureau de jugement présidé par le juge du tribunal de grande instance (TGI) dès lors que celle-ci a fait l’objet d’un départage devant le BCO (!).
Cette évolution n’avait pas franchement pu être débattue le 5 septembre dernier, puisqu’elle n’avait été présentée que de manière très incidente par la Chancellerie, juste avant que la séance du CSP ne soit levée.
Cette vacuité de la concertation a désormais été en partie comblée, puisqu’il y a deux jours de cela, le projet de décret attenant à ce bien étrange pan des réformes en cours a pu être présenté au CSP. Ce qui a donné l’occasion à la CFDT de s’exprimer assez longuement sur la question. Mais face à nos critiques et objections techniquement justifiées, l’administration s’est montrée bien en peine de nous livrer quelque contre-argumentation que ce soit...

Pour rappel : l’évolution des textes législatifsPréalablement à l’ordonnance, l’article L. 1454-2 du Code du travail se contentait de préciser qu’ « en cas de partage, l'affaire est renvoyée devant le même bureau de jugement ou la même formation de référé, présidé par un juge du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud'hommes. L'affaire est reprise dans le délai d'un mois ». Désormais, il précise également qu’ « en cas de partage devant le bureau de conciliation et d'orientation, ce dernier renvoie l'affaire devant le bureau de jugement présidé par le juge du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est situé le siège du conseil de prud'hommes ».

L’avis de la CFDT. Nous nous sommes très fortement opposés à cette évolution. D’abord, parce qu’elle consacre, pour la première fois, un cas de renvoi direct et automatique devant un bureau de jugement écheviné. Ensuite, parce qu’elle est clairement dépourvue de toute forme de cohérence. Comment peut-on en effet comprendre qu’une affaire sur laquelle aucun partage de voix ne s'est fait jour sur le fond de l’affaire puisse se retrouver devant un bureau de jugement de départage ?
Un projet de décret qui vient « tenter » de mettre en musique cette nouvelle disposition législativeLe projet de décret modifie l’article R. 1423-35 du Code du travail afin qu’il précise de qui doit être composé le bureau de jugement lorsqu’il est amené à statuer en « départage » suite à une orientation due à un départage en BCO.
Pour avoir un bureau de jugement en départage quantitativement bien composé, le projet de décret prévoit d’y « injecter »,  en plus des deux conseillers prud’hommes ayant déjà siégé en BCO, deux autres conseillers prud’hommes : l’un salarié, l’autre employeur.
L’avis de la CFDT. Comme nous l’avons vu, l’évolution législative qui a été enregistrée fin septembre est particulièrement incongrue. Aussi, sa déclinaison réglementaire ne pouvait-elle que l’être également. Et tel est bien le cas. Jugez plutôt ! Par définition, les conseillers prud’hommes qui auront été artificiellement « injectés » au sein du bureau de jugement de départage n’auront strictement rien à voir avec l’affaire. Une telle façon de procéder ne pourra que prendre à contrepied la plus basique des logiques qui veut que, normalement, une formation de départage doive rassembler les juges qui se sont mis en partage de voix (et eux seuls) et un juge professionnel.  
Or, ces deux juges réglementairement « injectés » n’auront en aucun cas été à l’origine du départage. Leur participation à une formation de départage a donc tout du non-sens.
Et, à y regarder de plus près, pour les deux conseillers prud’hommes à l’origine du partage en BCO, l’évolution des textes est tout aussi incohérente. Ici, le partage de voix ne se pourra en effet porter que sur une question annexe (une demande de délivrance, par exemple, d’une ordonnance à propos d’un document ou d’une provision). Or, le départage, lui, portera sur le fond du dossier (à propos duquel il n’y a pas eu de partage, puisque le dossier ne sera jamais passé devant un bureau de jugement paritairement constitué).  
Et que dire alors lorsque la demande du salarié ayant généré le partage aura été « levée » en cours de procédure ? Dans ce dernier cas de figure, le dossier passera en départage alors même qu’il n’y aura plus aucun partage constaté sur aucun des aspects du dossier…
Mais le plus grave est ailleurs ! Car, par-delà sa structurelle incohérence, il y a également lieu de souligner que cette  nouvelle donne procédurale ne pourra que nuire au justiciable salarié.Pourquoi ? Parce que, sous l’empire des textes actuels, un BCO qui se met en départage rend sa décision très rapidement (entre 15 jours à 1 mois selon les conseils de prud’hommes). Alors qu’avec la réforme, le renvoi obligatoire du dossier du BCO en départage vers un BJ en départage fera que le justiciable salarié devra attendre 10, 15 voire 20 mois pour que sa demande « urgente » soit à nouveau examinée !
Vous l’aurez donc aisément compris, la CFDT a, sur ce point bien précis, rendu un avis négatif.


  • Réajustement des règles de contestation des « avis, propositions, conclusions écrites ou indications » émis par le médecin du travail (article 2 du projet de décret)
Là encore, il ne s’agissait que de décliner réglementairement une évolution législative qui a, d’ores et déjà, été consacrée par l’ordonnance n° 2017-1387 dite de « prévisibilité et de sécurisation des relations de travail ».
Sur le fond, il s’agissait là de corriger les effets les plus délétères de l’évolution de texte consacrée par la loi Travail et qui avait consisté en un « rapatriement » de ce type de contentieux du giron de l’administration du travail vers celui des conseils de prud’hommes.
Pour rappel : l’évolution des textes législatifs
L’article L. 4624-7 du Code du travail a été modifié sur plusieurs points par l’ordonnance. Depuis, il précise très clairement que :
- ce sont les « avis, propositions, conclusions écrites ou indications émis par le médecin du travail et reposant sur des éléments de nature médicale » qui sont susceptibles d’être contestés et non plus les seuls « éléments de nature médicale justifiant » ces mêmes avis, propositions, conclusions écrites ou indications ;
- c’est un médecin-inspecteur du travail qui peut être saisi par le conseil de prud’hommes pour l’éclairer sur« les questions de fait relevant de sa compétence » et non plus un médecin expert près la cour d’appel ;
- la décision rendue par le conseil de prud’hommes (en référé en la forme) se substitue aux avis, propositions, conclusions écrites ou indications contestées.
L’avis de la CFDT. A l’évidence, ces évolutions sont très positives et ce à plusieurs égard.
- La possibilité donnée aux justiciables de contester « les avis, propositions, conclusions écrites ou indications reposant sur des éléments de nature médicale », et non plus « les éléments de nature médicale justifiant les avis, propositions, conclusions écrites ou indications », fait que ce sont désormais les décisions prises par le médecin du travail qui pourront, dans leur intégralité, faire l’objet de la contestation, et non les seuls « éléments de nature médicale » qui en ont été à l’origine.
Une telle évolution a clairement permis de lever l’une des ambiguïtés de l’ancien texte.
- La possible intervention du médecin du travail inspecteur, et non plus du médecin expert, fait que la procédure devrait être rendue plus accessible au justiciable salarié.
Des projets de décrets qui, malheureusement, ne lèvent pas suffisamment les zones d’ombre
Malgré la réécriture de l’article L. 4624-7 du Code du travail, des difficultés demeurent. Difficultés que les projets de décret ne lèvent pas complètement car, pour l’essentiel, les projets de décret ne font que mettre en cohérence les textes réglementaires avec les nouvelles orientations légales. Là encore, l’administration s’est trouvée bien en peine de nous apporter un minimum d’éclairage...   
L’avis de la CFDTLes évolutions enregistrées sont  très positives. Mais des points particulièrement sensibles méritent encore d’être travaillés.
La question du coût n’est pas encore complètement résolue. Dans l’attente d’un arrêté à venir (et à l’évidence non encore arbitré quant à son contenu), nous ne savons toujours pas combien le recours aux services du médecin inspecteur du travail sera facturé.
Sur cette même question, nous nous sommes par ailleurs interrogés sur la capacité qui serait ainsi donnée à un agent de l’Etat de se faire rémunérer. Ce d’autant plus que, dans l’ancienne procédure (celle antérieure à la loi Travail), ses services étaient complétement gratuits !
- La question du « secret médical » n'est pas davantage résolue, car, lorsqu’un dossier viendra devant le conseil de prud’hommes, il sera nécessairement soumis aux principes du contradictoire et de l’audience publique. Or, dans ce cadre, des éléments de nature médicale ne pourront qu’être communiqués à la partie employeur, ce qui, à notre sens, est particulièrement problématique.
Nonobstant l’ensemble de ces points à éclaircir, la CFDT a tout de même entendu saluer les progrès d’écriture réalisés entre la version (législative et réglementaire) issue de la loi Travail et la version (législative et réglementaire) issue des ordonnances Macron. Version sur laquelle la CFDT avait d’ailleurs fortement pesé lors du processus estival de concertation sur les ordonnances.


(1) Qui, depuis, est devenu l’ordonnance n°2017-1387 du 22.09.17 dite de « prévisibilité et de sécurisation des relations de travail ».(2) Cf. brève publiée sur notre site le 06.09.17 : « Prud’hommes : le plafonnement des dommages et intérêts, la position de la CFDT au CSP ».(3) Art. L. 1454-2 et L. 1454-4 C. trav.

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